Jeff Elrod

Publié le par A.L.C

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De l'ordre dans le désordre?

« L'accident est l'imprévisible absolu avec lequel il faut savoir faire alors que l'aléatoire est la fabrication volontaire d'un indéterminé, d'un imprévisible .»

Ce propos de Jean-Pierre Balpe  pourrait être une approche pertinente du travail de l'artiste américain Jeff Elrod qui expose du 17 Mars au 23 Avril à la galerie Jean-Luc et Takako Richard.

Par le biais d'un programme informatique de dessin et sous l'impulsion aléatoire d'une souris d'ordinateur, il nous livre une transformation de l'essence de la toile:

elle devient un simple imprimé anonyme, une constellation de trainées graphiques, une forme d'abord, un système homogène de signes.

Or son art, a priori si riche en économie de moyens, en application à épurer les formes pour aboutir à leur émancipation, est avant tout un espace dynamique fait de variations du même et du différent qui se définit du point de vue d'un observateur lié à cet espace: une sorte de dialogue, de conversation non-linguistique s'instaure entre le spectateur et l'image; c'est une oeuvre interactive en ce sens ou elle place l'artiste et, par le biais d'être exposée, le spectateur au centre de son dispositif.

C'est art d'in-formation, une construction interne d'information indépendante de toute autre finalité, soit, selon Pierre Levy « une réserve numérique de virtualités sensorielles et informationnelles qui ne s'actualisent que dans l'interaction avec des humains ».

 

Une oeuvre de processus

Jeff Elrod joue et se joue du numérique en amplifiant, via le tracé aléatoire de sa souris, la notion de génération: à chaque fois son oeuvre se re-produit et chaque fois, s'affiche différemment intégrant ainsi le temps et le contexte comme composante fondamentale de l'expression artistique.

Prétention démiurgique, tentation de l'infini, simulations des déroulements vitaux rendant totalement incertain le résultat définitif d'un processus complexe; il nous propose ainsi un monde virtuel reproduisant l'imprévisibilité de l'existence, en posant de ce fait la question de l'auteur ou plus exactement du rapport de l'auteur à l'oeuvre et bien entendu de l'oeuvre à sa lecture puisque cette dernière est toujours lue à travers la personne de l'auteur lui-même.

 

Jeff Elrod réussit ainsi à atteindre l'ambition la plus haute à laquelle peut prétendre une oeuvre artistique: celle de s'imposer non comme représentation mais comme l'invention d'un système spécifique, de signes idoines à un moment donné,d'un environnement complexe.

Il rend lisible, au travers de l'image électronique, les couches techniques qui la font.

« C'est pourquoi la visibilité de l'image devient une lisibilité », comme l'explique Gilles Deleuze.

De plus, sa technique d'effacement, en enlevant des rubans de scotchs de ce palimpseste coloré , fait directement allusion au processus de dématérialisation de la toile, de la peinture, par le biais des nouvelles technologies: un travail qui se situe entre matière palpable et virtuelle où l'on peut y voir une sorte d'interrogation relative à l'art de l'ère de la numérisation.

Une dématérialisation qui signale essentiellement que dans ces fondations, toute création d'art numérique est d'abord pensée en dehors d'un rapport pragmatique à la matière.

 

Manifestant ainsi sa volonté d'interroger cette interaction du visible et du lisible de l'image numérique, Jeff Elrod a su percevoir la radicalité de ce nouvel outil sans tomber dans l'écueil de la simple technique de fabrication, c'est-à-dire de devenir un sous produit de l'art tourné vers sa vulgarisation marchande.

Publié dans Art contemporain

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